Les FRÈRES des débuts du CINÉMA

timbre - Les frères Lumière

Auguste et Louis LUMIÈRE

(Auguste : 19 octobre 1862 / 10 avril 1954) (Louis : 5 octobre 1864 / 6 juin 1948)

Ils ont un autre frère, Edouard (1884/1917), et trois sœurs, Jeanne (1870/1926), Juliette (1873/1924) et France (1882/1924).

Ingénieurs français, nés à Besançon. Ils mettent au point un système de chronophotographie comprenant les étapes de prises de vues, de développement et de projection d’un film avec le même appareil : le Cinématographe. Auguste laissera l’entière paternité du Cinématographe à son frère Louis, inventeur de nombreux procédés liés à l’image, dont celui de la photo en couleurs, l’Autochrome.

Julius et Abe STERN

(Julius 22 mars 1886 / 26 avril 1977) (Abe 8 mars 1888 / 12 juillet 1951)

Allemands de naissance, ils deviennent producteurs aux États-Unis (1917/1929), co-fondateurs de Century Film Corp. et de Yankee Film Company avec leur beau-frère Carl Laemmle (marié à Recha Stern).

Georges et Gaston MÉLIÈS

(Georges : 8 décembre 1861 / 21 janvier 1938) (Gaston : 12 février 1852 / 9 avril 1915) – ils ont aussi un autre frère, Henri (1844/1922).

Élevés dans une famille aisée, les deux frères ne prennent pas la suite de l’activité paternelle, la fabrication de chaussures de luxe. Ils se consacrent au cinématographe, Georges comme créateur et cinéaste complet (scénariste, réalisateur, acteur, décorateur, producteur…) et Gaston comme représentant (et réalisateur) de la Star Film aux États-Unis.

Harry, Albert, Sam et Jack WARNER

(Harry : 12 décembre 1881 / 25 juillet 1958) (Albert : 23 juillet 1884 / 26 novembre 1967) (Sam : 10 août 1887 / 5 octobre 1927) (Jack : 2 août 1892 / 9 septembre 1978).

Fils d’une famille polonaise émigrée au Canada puis aux États-Unis. Fondateurs de la Warner Brothers Studios en 1918. Pionniers du cinéma sonore en 1926.

Walt et Roy DISNEY

(Walter : 5 décembre 1901 / 15 décembre 1966) (Roy : 24 juin 1893 / 20 décembre 1971).

Ils ont aussi deux autres frères, Herbert (1888/1961) et Raymond (1890/1989) et une sœur, Ruth (1903/1995).

Walter fonde avec son frère Roy, Disney Brothers Studios, puis en 1923 la Walt Disney Company ; dessinateur, animateur, producteur de films d’animation ainsi que d’autres films et de télévision, créateur de parcs à thèmes, il est aidé par son frère Roy pour la partie financière de leurs affaires. Roy prendra les parcs sous sa direction à la mort de son frère et deviendra le PDG de Walt Disney Productions de 1966 à 1971.

Charles et Émile PATHÉ

(Charles : 26 décembre 1863 / 25 décembre 1957) (Émile : 12 février 1860 / 3 avril 1937)

Ils ont deux autres frères, Jacques (1858) et Théophile (1866) et une sœur, Joséphine (1871/1892), trois autres enfants n’auront pas vécus.

C’est tout d’abord le Phonographe qui intéresse Charles et lui rapporte pas mal d’argent. Puis il achète des Kinetoscopes Edison pour les revendre. Après la mort de leur mère, les quatre frères seront associés très peu de temps. Puis il ne restera qu’Émile avec Charles pour créer Pathé Frères en 1896. En peu de temps la production de films est l’activité principale de Charles. Émile se consacre aux enregistrements sonores (Cylindres, puis disques). Les films Pathé se vendent dans le monde entier. Véritable empire, la société française Pathé est la première de toutes, jusqu’en 1913.

Paul et Léon LAFITTE

(Paul : 24 octobre 1864 / 29 juin 1949) (Léon : 1875 / 1938)

Paul investit beaucoup d’argent dans le cinéma naissant, il soutient La Compagnie des Cinématographes Théophile Pathé (production) et la Compagnie des Cinéma-Hall (exploitation), il dirige ensuite La Publicité animée (production de films pour l’entre-acte), puis il s’associe à son frère Léon pour créer la production Le Film d’Art.

Milton et Yannakis MANAKIS

(Milton ou Miltos : 1882 / 1964) (Yannakis ou Ienach : 1878 / 1954)

Pionniers de la photographie puis du cinématographe, dans les Balkans. Ils constitueront une très importante photothèque « Les Archives Manahia » avec plus de 17 000 photos. Ils installent un laboratoire de développement et une salle de projection et réalisent de nombreux films dans les Balkans.

Arnaldo et Bruno GINANNI CORRADINIDU

(Arnaldo Ginna : 7 mai 1890 / 26 septembre 1982) (Bruno Corra : ?)

Ils publient ensemble : Méthode et Vie nouvelle (1910). Arnaldo, passionné de recherches artistiques sur la peinture, se joint au groupe futuriste de Milan. Les deux frères réalisent des courts métrages abstraits en traitant (à la peinture) directement le film vierge, sorte de « ciné peinture ».

Alexandre, Zoltan et Vincent KORDA

(Alexandre, Sandor Laszlo Keller, Alexander : 16 septembre 1893 / 23 janvier 1956) (Zoltan : 3 juin 1895 / 13 octobre 1961) (Vincent : 20 juin 1896 / 4 janvier 1979)

Les trois frères originaires de Hongrie, travaillent pour le cinéma de leur pays, puis partent en Grande-Bretagne, en 1930. Alexandre est réalisateur et producteur, il fonde avec ses frères, la London Film Productions en 1932. Il réalise Marius de Marcel Pagnol. Zoltan est réalisateur, scénariste et producteur, il s’installe aux États-Unis en 1940 et travaille pour la United Artists. Vincent est chef décorateur.

L'art de la récup'... le septième !

Le jeune âge du Cinéma dans la famille des Arts, lui vaut une sérieuse tendance à s’approprier toute sorte d’équipements, de vocabulaire et d’expressions, venant de ses aïeuls, le théâtre et la photographie, mais aussi de très diverses activités, industrielles, artistiques et même militaires.

Venu au monde dans la famille du Spectacle, mais dans la descendance de la Photographie, le Cinéma n’a pas attendu qu’un héritage logique vienne étoffer sa jeune vie de 7e art. Il a usurpé des appellations, adapté des mots, transformé des techniques et inventé en seconde main, des habitudes de travail et des moeurs, pour rapidement et sans scrupule, les faire siennes. Elles paraissent souvent originales, et ne sont pourtant que de pâles copies de celles qui les précèdent.

Sans sa grand-mère la Photographie, le Cinéma n’aurait pas ses émulsions, ses objectifs, ses négatifs et positifs, ses sensibilités de pellicules, ses diaphragmes, ses primitifs ateliers de pose (que la Photo partageait déjà avec la Peinture) héritage direct d’une technique bien avancée à la fin du XIXe siècle. Son grand-père, le Théâtre, lui laisse, dès sa jeunesse, le nom de théâtre cinématographique, d’abord donné aux premiers studios, puis aux salles de projection, mais aussi ses décors sur trois côtés et ses acteurs, aux « performances » limitées par l’absence de l’enregistrement sonore, sauf pour les quelques primitives et audacieuses tentatives de films parlants.

Pour la prise de vues, la caméra se contente de garder le nom d’une boîte bien simple, dont le principe est décrit dès l’Antiquité, utilisée au XVIe siècle par les dessinateurs et peintres : la Camera Obscura. Première petite originalité (passagère) l’appareil comporte une manivelle pour actionner son mécanisme et permettre de réaliser 16 à 20 photographies par seconde, environ. De la Photographie à répétition en quelque sorte ! Les caméras adoptèrent rapidement des moteurs à ressort, puis électriques, et la manivelle restera dans les mémoires l’outil de la gestuelle historique et originelle des premiers opérateurs. Même cette Camera, la « Chambre obscure« , ne lui appartient pas !

Dès que le cinéma se livre au public, il est surtout présenté dans les fêtes foraines. Ce sont les forains qui deviennent donc les premiers exploitants de cette nouvelle distraction populaire qui entre dans le XXe siècle, à peine âgée de 5 ans. Les films sont alors vendus comme n’importe quelle marchandise, au mètre bien souvent, et les rayures, collages, réparations et usures, accompagnent les projections jusqu’à la destruction de la pellicule qui termine sa vie en restituant ses propres composants par des procédés de récupération (pour les sels d’argent par exemple). Le Celluloïd de la pellicule partage avec les explosifs un composant bien dangereux : le nitrate ! Et les récupérateurs de vieux films, usés par trop de projections, figurent parmi les responsables de la disparition d’un très vaste pratrimoine cinématographique.

Au temps du muet, dès que l’importance du découpage des scénarios le nécessitait, pour identifier les différents plans tournés de façon désordonnée, une ardoise est présentée au début de chaque prise de vues. Elle comporte quelques indications qui permettrons de retrouver la cohérence chronologique du scénario : titre du film, nom de la production, numéro de séquence, numéro de plan… C’est le début, de ce qui sera appelé un peu plus tard, avec l’arrivée du son : le Clap. Le cinéma n’a pas inventé l’usage d’une identification à la prise de vues, le milieu carcéral, bien avant lui, avait mis en place ce rituel, en photographiant les prisonniers, au début de leur séjour derrière les barreaux, des deux profils, et de face, toujours avec l’ardoise d’identification. Sans oublier l’ardoise aux pieds des élèves pour la rituelle photo de classe !

Seule la claquette, faites de deux rangées de chevrons noirs et blancs opposées, ajoutée à l’ardoise, à l’arrivée de l’enregistrement sonore, est peut-être l’unique accessoire technique véritablement cinématographique. Le clap, avec son claquement caractéristique et sa partie mobile, est le symbole universel du Cinéma.

Au rayon éclairage, il y a aussi beaucoup d’emprunts ! Les premiers tubes au mercure venant de l’industrie, comme les premiers arcs, équipent de façon très simple, les premiers studios en lumière électrique. Une lumière abondante est nécessaire pour obtenir la bonne exposition de la pellicule, et le seul souci, en ces temps primitifs, est d’arriver à produire un fort niveau d’éclairement. La participation de la lumière au sens artistique du film viendra en son temps…

C’est à partir du matériel militaire de la D.C.A. (Défense Contre Avion) que seront adaptés les gros projecteurs à arc, mastodontes de 225 Ampères qui éclaireront pendant plusieurs décennies les scènes filmées. La lentille de Fresnel (du nom de son inventeur : Augustin Fresnel – 1788/1821) est adaptée dans les années 30, aux projecteurs de studio, puis aux arcs eux-mêmes. Pour tous ces projecteurs de cinéma, elle est réduite en taille, à partir des modèles équipant les phares de marine sur les côtes (pour lesquels cette lentille a été inventée).

Bagnard au clap, illustration Marie Lemé
© Marie Lemé

Un autre emprunt, fait au matériel militaire, est la Dolly. Ce petit chariot (transformé pour les besoins du tournage), sur pneumatiques, permettant des déplacements précis et des élévations délicates de la caméra, est issue d’une machine de guerre, servant à placer les bombes sous les ailes des avions de l’armée américaine.

Le Théâtre partage un peu de sa superstition historique avec le jeune 7e art qui lui a emprunté le mot Plateau, lieu de création par excellence. Sur ce plateau (de cinéma), les interdictions sont plus des prétextes à payer une sorte d’amande – un apéritif général – que l’appréhension d’une réelle malédiction. Les mots corde et ficelle sont totalement proscrits (voir article à la page d’accueil)… d’où le nom de Licelfoc ! Il reste de vagues traces de quelques autres interdits : s’habiller en vert, siffler… mais les années ont eu raison de ces anciennes coutumes superstitieuses.

La prestidigitation a, elle aussi, laissé au cinéma un bel héritage, avec l’œuvre de Georges Méliès. Les trucs, tours de magie et autres numéros d’illusionniste, génial trésor du savoir faire de Méliès, ont nourri les premiers films de cet homme passionné qui offrit au public le « spectacle cinématographique » dans sa plénitude ! Les effets spéciaux des films actuels doivent tout à ce génie des premiers temps dont les bandes étaient projetées par les forains. Ces derniers ont sans doute apporté l’héritage le plus populaire, avec les fêtes foraines qui ont donné avec leurs baraques, ses premiers lieux de présentation (itinérants) au cinéma.

La photographie, le théâtre, la magie, la fête foraine… ont beaucoup apporté au cinéma, ou, vu sous un autre angle, le cinéma doit beaucoup à ses précieux aïeuls. 

Illustration, Phare ,caméra, danseur éclairé
© Marie Lemé

Le retour des frères Lumière

H.D. COMME HISTOIRE (DÉ)TOURNÉE (une fiction dans l’Histoire du Cinéma)

Lorsque Louis et Auguste arrivèrent sur le plateau, ils se firent très discrets. À l’invitation de Francis, le régisseur adjoint, ils gagnaient un petit abri en retrait qui leur permit, au travers d’une fenêtre du décor, de contempler l’équipe au travail. De leur poste d’observation, plongés dans l’obscurité de cette découverte soulagée par les électros, nos deux visiteurs découvraient, sans que l’on puisse les voir, le magnifique salon empire inondé de lumière, dans lequel une centaine de figurants s’apprêtait à danser autour de l’empereur et de l’impératrice.

Une trentaine de personnes, en retrait de cette zone historique qui formait le champ, écoutait attentivement les recommandations que Robert, le réalisateur, adressait aux danseurs. Il passait avec une infinie patience d’un couple à l’autre, donnant une indication, de place, de jeu. Par de grands gestes à la précision d’un sémaphore, il mimait le mouvement de grue qui allait bientôt s’abattre sur cette cour impériale. À présent, chacun savait ce qu’il avait à faire, comédiens, figurants, techniciens, tous étaient prêts. Un homme qui jusqu’à présent s’affairait à aider l’accessoiriste à rallumer toutes les bougies, se mit à crier : « On va faire un grand silence ! ». Louis et Auguste, extrêmement concernés par tout ce qu’ils voyaient et entendaient, eurent un mouvement commun de recul à cette exclamation de Pierre, le premier assistant réalisateur. Ils semblaient vouloir se faire encore plus discrets et se fondre un peu plus, dans la pénombre du parc de la Malmaison, reconstitué par quelques arbres du décor et un immense agrandissement photographique.

Illustration, tournage

La voix très calme du réalisateur, se fit entendre : « Moteur ! » et comme en écho aussitôt, avec force, la réponse fut rapide : « Ça tourne ! »…. l’ingénieur du son, Gérard, venait de lancer la procédure… Comme une vague déferlante que rien n’arrête, le rituel immuable de début de prise de vue se déroulait sans faille… « Annonce ! » lançait, André, le premier assistant opérateur, le doigt prêt à déclencher le moteur de la caméra… « Joséphine, 34, 1ère ! »… et le clap se refermait dans un claquement sec, si caractéristique. En un éclair, Jean-Luc, le machiniste, disparaissait avec son clap derrière un des larges piliers du salon. Il était le dernier à assurer le passage du réel à la fiction. Dernier passeur vers le rêve, entraînant dans les chevrons blancs de sa claquette, le basculement tant attendu. À cet instant précis, le temps était suspendu, secondes interminables, tension maîtrisée par tous, puis comme dans un soulagement tant espéré, d’un ton très assuré, mais toujours calme, on entendait enfin : « Partez ! ». D’un même élan retenu, Louis et Auguste regagnèrent la place plus avancée qu’ils occupaient précédemment, comme pour apprécier de plus près cet instant, fabriqué hors du temps réel. Alors, sous leurs yeux captivés, se déroulait un somptueux balai. Enchevêtrement calculé, harmonie savante de la technique et de l’art, mêlant un autre siècle à l’instant bien présent du tournage d’un plan. La grue élégante et silencieuse entamait son survol tant et tant de fois répété. Le son diffusait le play-back d’une musique cadencée qui finissait de donner à l’ensemble une belle réalité éphémère.

Dans un chuchotement à peine perceptible, une petite voix étouffée sortit de derrière les feuilles de décor : « Silence, ça tourne… mais, ça tourne ! » La porte du plateau avait failli s’ouvrir en pleine prise de vue. Isabelle, la jeune stagiaire, avait arrêté l’importun par ses avertissements susurrés. « Ça tourne, voyons ! » dit-elle à nouveau, en augmentant un peu le niveau de sa voix. À cet instant, la discrète agitation qui se produisait dans son dos, attira l’attention de Louis. « Ça tourne ! » avait-il entendu. « Ça tourne ! » avait déjà crié l’ingénieur du son… Louis en quelques instants se perdit en une profonde réflexion intérieure. Il se répétait dans une sorte d’écho volontaire : « Ça tourne, ça tourne… » Mais qu’est-ce qui tourne ? Mis à part les danseurs en costume entraînés par la joyeuse valse impériale, je ne vois rien qui tourne… si, peut-être les roues de la grue ? ». Louis se rappela alors les premiers essais effectués avec son frère et Charles, leur fidèle collaborateur, chef mécanicien de leurs usines. Il revoyait avec émotion les premiers tours de manivelle pour ces 800 premières images enfin fixées et reproduites à la projection à l’aide de la même manivelle ! Que de problèmes surmontés, d’avancées prometteuses en reculs désespérants… découpant, perforant et couchant une émulsion sur ces précieuses feuilles de celluloïd envoyées de New-York ! Développant lui-même dans des seaux hygiéniques, en tôle émaillée, ces négatifs délicats pour en tirer des positifs à la lumière indirecte d’un mur blanc ensoleillé !

« Ça tourne ! » oui effectivement la manivelle tourne, non pas sur le côté de l’appareil comme on peut parfois le mimer, mais sur l’arrière de celui-ci, juste devant l’opérateur. Cette manivelle qui entraîne la mécanique, laissera la place au moteur électrique ou au plus modeste ressort des caméras de reportage et d’amateur… mais malgré ces progrès techniques, ça tournera toujours : les bobines, poulies, courroies, tambours dentés et autres bobinots. De ces temps primitifs surgira toute une magie saisissante qui finira par prendre le nom de « Tournage ». Malgré toute l’attention portée à ce spectacle bien original, Louis et Auguste ne purent distinguer où se trouvait le film, comment était introduite dans l’appareil cette pellicule qui leur avait donné tant de soucis… et de joie ! Ils avaient vu glisser une mystérieuse petite plaque blanche à l’intérieur de ce cinématographe méconnaissable de sophistication ! À présent, Louis comprend le grand passage qui vient de se produire … plus rien ne tourne ! La manivelle a depuis bien longtemps disparue, et même si pour quelques temps encore la pellicule effectuera toujours son périple mécanique, le temps est venu des cartes mémoire qui remplacent les magasins. Le métrage a cédé la place aux giga-octets, et les rushes aux datas ! Il est long, il est beau, le chemin parcouru depuis le temps des ouvrières lyonnaises enjuponnées quittant leur lieu de travail en s’éparpillant dans la rue, après leur journée à l’usine.

Auguste et Louis quittent discrètement le plateau, le rouge vient d’être coupé… ils sortent du studio émus et quelque peu perturbés par ce qu’ils viennent de voir. Ils n’auraient pas renié ces inventions, peut-être auraient-ils pris juste un peu de temps pour se familiariser avec tous ces mots : numérique, fichier, natif, entrelacé, digital, compression, time code, haute définition… mais la passion des images et des recherches serait restée intacte, comme celle de tourner… quand bien même plus rien ne tournerait !

 illustration : © Marie Lemé

Le spectateur solitaire est de retour !

Depuis que l’Homme tente d’animer des images et de reproduire le mouvement par toutes sortes d’artifices techniques et artistiques, il a volontairement cherché à offrir ces présentations au plus grand nombre. Après bien des années de bons et loyaux services, la Lanterne magique commençait à perdre du terrain vers la fin du XIXe siècle.

Ses modestes animations faites des quelques plaques de verres glissantes et changeantes, offraient toujours un spectacle destiné à plusieurs paires d’yeux. Son perfectionnement multiséculaire, mêlé aux tours de prestidigitation, aux éclairages et aux effets de miroirs, lui donna dès 1798 ses lettres de noblesse, avec le Fantascope du Belge, Étienne Gaspar Robert, dit Robertson. Grandes salles, grands spectacles, grandes audiences… A travers le monde, ces Fantasmagories remportent un grand succès !

Lorsque la photographie engendra par soubresauts le Cinématographe, bien des inventeurs se heurtèrent au problème de la projection… Les appareils se succédèrent en rafale, mais pour la majorité d’entre eux la vision de ces images animées n’était proposée qu’à un seul spectateur ou pour le mieux, à une petite poignée de curieux, observant avec bonheur la ronde répétitive des ancêtres de nos dessins animés. Dans ce croisement débordant de trouvailles et d’inventions, toutes plus originales les unes que les autres, issues de la photographie, dérivées de la Lanterne magique, Émile Reynaud synthétise avec son Théâtre optique (1888) un incomparable système de projection animée. Avant même l’invention du Cinématographe, il réalise un spectacle de dessins animés, préfigurant le film lui-même, en tant que support transparent, inventant les perforations pour l’entraînement de sa bande, assurant la projection sur grand écran par transparence, et mettant au point le procédé de décor fixe sur lequel viennent s’ajouter les personnages en mouvement (précurseur du procédé des celluloïds). Après lui, allait se renforcer cette volonté de présenter les films devant un large public.

Tickets de cinéma
© Marie Lemé
6 tickets de cinéma

Mais avant d’aboutir à ce résultat « en salle », c’était un spectateur solitaire qui approchait ses yeux d’orifices binoculaires et tournait lui-même la manivelle pour produire l’animation « à son rythme ». Des photographies accrochées par centaines, puis des bandes de film, entraînées par  un mécanisme enfermé dans une grande boîte verticale, sans oublier la pièce de monnaie qu’il devait introduire dans l’appareil… Offraient un court spectacle très privé. Le Kinetoscope d’Edison, le Kromskop d’Iver, le Kinesigraph de Donisthorpe et Croft, le Mutoscope de Casler, tous se limitaient à une présentation sans projection et pour une unique personne.

Dès les premières séances du Cinématographe, assis dans le noir, les spectateurs alignés sur leurs sièges, regardaient la même projection, leurs yeux fixés vers l’écran de grand format, à l’unisson d’un partage communautaire. Silence pesant, éclats de rire communicatifs, interpellations à voix haute, sifflets et même applaudissements ! Les baraques foraines, les salles de café, les théâtres, puis les cinémas, accueillirent à chaque séance, par dizaines, centaines et milliers ces spectateurs anonymes. Les éléments rapportant le succès d’un film ne dénombrent jamais les spectateurs mais les entrées, comme pour préserver cet anonymat, et ne rien savoir du spectateur lui-même. Est-il ressorti aussitôt, est-il venu plusieurs fois ? Ce qui compte seulement c’est qu’il soit entré !

En France, cette folie des grandeurs atteint son sommet avec le Gaumont Palace qui proposera ses 6000 places.

Praxinoscope d'Émile Reynaud (1876)
Praxinoscope d'Emile Reynaud
cinématographe lumière (projection)
Cinématographe lumière installé pour la projection

Entrée, place, fauteuil, balcon, pullman, orchestre… par ces mots les spectateurs sont-ils reconnus ? Anonymes, ils le sont ! Même leur nom n’est pas prononcé ! Curieusement, il y eut un temps où ceux qui bénéficiaient d’une place à tarif réduit étaient reconnus comme des personnes : Militaires & Enfants. Le Cinéma a tout fait pour ne pas se présenter à eux sur un format carte postale, il a tendu son drap blanc, son écran géant, sphérique et même triple… Jusqu’à 360° ! Et après avoir fait la queue sur le trottoir des grands boulevards, puis regardé le film, avec les uns et les autres, dégusté les chocolats glacés, glacés… Il sort du rang ! Le spectateur ne fait plus partie de la horde, de la multitude, il quitte la salle et sa toile… le rideau sur l’écran est tombé !

Tout a été tenté pour agrandir les écrans, les salles ; les inventeurs ont fait la course à la projection publique … pour sortir le spectateur de sa solitude et de l’étroitesse de l’image présentée. Et le voilà qui s’éloignent des affiches géantes, des néons clignotants, des écrans démesurés et de ses complices du 7e art, intimement associés à lui dans le noir. Il revient peut-être aux sources, en regardant tout seul, sur son tout petit écran Oled ou LCD, le film qu’il a choisi ? Comme un Parisien qui s’arrêtait au numéro 20 du boulevard Poissonnière, chez les frères Werner, concessionnaires Edison, pour regarder quelques bandes du Kinetoscope parlor en octobre 1894, seul devant le minuscule écran individuel… 120 ans après, le spectateur solitaire est de retour ! 

FILMIN'IN THE RAIN

Le Spinning Disk (disque rotatif) fabriqué par Mécadap dans les années 1990.

À la demande de Jean-Pierre Chardon et Yves Cunin, Michel Deschaumel met au point dans sa société Mécadap, un système mécanique permettant de filmer sous la pluie battante, l’eau étant évacuée par centrifugation, grâce à un disque en Plexiglas tournant à 3200 tours minute. Il peut être ajusté à n’importe quel type de caméra, depuis la Mark IV IMAX jusqu’aux modèles DV. Une tente transparente « Atochem« , étanche et indéchirable est adaptée pour abriter la caméra et son cadreur, plus 4 personnes.

Le Spinning Disk fonctionne sur batteries NP1 ou toutes batteries 12 volts. Cet accessoire a été spécialement élaboré pour des prises de vues à effectuer lors d’une éruption volcanique aux îles Hawaï, pendant laquelle risquait de tomber de très fortes pluies.

installation spinning disk
Spinning Disk sur caméra Mark IV IMAX
installation spinning disk
installation spinning disk
Indalecios Simoes, Jacques Mouries & Alain Mussard (sous la tente)