Jacques ROUFFIO
14 août 1928 à Marseille / 8 juillet 2016 à Paris
Réalisateur de cinéma et de télévision
Hommage de la part de Marc Alfieri
Voici ma petite contribution au souvenir de celui qui a été un grand ami.
Notre relation a commencé au travail. Elle s'est poursuivie hors du métier et est devenue une véritable amitié. Au fil du temps, ma famille et lui sommes devenus très proches. Ces dernières années, Jacques était très malade. Nous passions régulièrement lui rendre visite à sa maison de retraite à Paris, dans le quartier des Gobelins. Gaétan notre fils et moi l'avons revu une dernière fois, à Sèvres où il était hospitalisé, trois jours avant sa disparition.
Jacques nous avait dit qu'il souhaitait écrire un livre de souvenirs sur une partie de sa vie : sa jeunesse à Marseille ; puis l'époque où il débuta dans le cinéma en tant que stagiaire à la mise-en-scène ; ensuite le temps où il fut assistant-réalisateur au service de plusieurs grands cinéastes. Jacques ne voulait pas aller plus loin. Ses témoignages se seraient arrêtés avant le démarrage du premier film qu'il a réalisé. Sa modestie.
Alors, ne parlons pas de sa carrière mais de l'homme.
C'est en 1987 que nous avons fait connaissance, grâce à Olivier Gérard, relation de Jacques de longue date. Lors de notre premier rendez-vous, dans un café près de la place Alma-Marceau, il m’a mis aussitôt à l’aise. J'ai découvert quelqu'un de simple, direct et souriant. Il n'avait pas la grosse tête malgré les succès de ses films précédents. Au contraire, ne manquant pas d'humour, il montrait une personne qui ne se prenait pas au sérieux. Bref, il ne la jouait pas "show-biz".
La sympathie et la confiance ont aussitôt été là entre nous en même temps que nous avons commencé notre collaboration. Après un second film ensemble, nos choix professionnels ne nous ont pas permis de nous retrouver sur un plateau. Mais le lien est resté parce que la fidélité faisait partie de ses valeurs.
Voici quelques anecdotes sur Jacques Rouffio, qui racontent son bon esprit.
Sa fidélité.
Après le tournage du feuilleton "L'Argent", Jacques avait attaqué la partie post-production des 3 épisodes de 90 minutes. Il avait apprécié l'aide efficace de Eric Carlier, un jeune stagiaire, dans l'organisation de l'énorme planning de tout ce qui était montage, doublage, mixage. Lorsque Jacques a commencé la préparation de son film suivant, "L'Orchestre Rouge", il s'est souvenu de Eric et l'a pris comme stagiaire à la mise-en-scène.
Ses valeurs.
Des épreuves arrivèrent dans ma vie professionnelle et dans ma famille. Jacques ne m'a / ne nous a jamais laissé tomber. Il pouvait se déplacer pour prendre des nouvelles ou nous téléphoner. D'autres fois, nous allions au restaurant. Jacques est un passionné de lecture et je repartais toujours avec un livre qu'il m'avait offert.
Jacques était un homme de gauche mais ne le criait pas sur les toits. Il exprimait sa foi en l'humanité par des actes concrets. Dans sa relation à l'autre, il était profondément égalitaire. Non seulement, il écoutait les avis des membres de l’équipe mais même il les sollicitait pour en tenir compte dans sa mise-en-scène.
Je me souviens d'un samedi au château de Ferrières où nous préparions le tournage pour lundi d'une scène compliquée avec beaucoup de figuration. Jacques réfléchissait au découpage. Soudain, il s'est tourné vers nous et a dit "aidez-moi, je n'ai pas d'idée". Et là, j'ai pensé qu'il était vraiment fort ! Son humilité le grandissait. Dans une profession où il y a tellement le souci des apparences, lui, le chef, montrait qu'il n'avait pas peur du paraître. Lequel d'entre nous aurait osé avouer ainsi sa "faiblesse" devant les autres ?
Jacques a toujours été prêt à rendre service aux jeunes. Il est venu donner une Master class à l’école 3iS (78). Il y est retourné pour accompagner son ami le chef-décorateur Jean-Jacques Caziot lorsque celui-ci a donné une Master class à son tour. Plusieurs fois, Jacques est venu assister aux tournages des étudiants. Plus récemment, dans sa maison de retraite, il avait reçu une élève qui voulait interviewer un réalisateur pour son mémoire de fin d'études.
Voici quelques années, Jacques avait répondu à l'invitation de Nord-Ouest E.D.I., une association d'insertion pour les jeunes en difficulté. Il vint voir ces jeunes qui donnaient un spectacle sur une petite scène du XIX° arrondissement.
L'humain.
A Meudon, à partir des années 2010, Jacques a commencé de souffrir et de plus en plus. Difficultés à se déplacer, à entendre, à se servir de ses mains. Sa femme Vanina n'était pas en grande forme non plus. Malgré qu'ils soient tous deux malades et dépendants, jamais il n'a voulu qu'ils soient séparés. Pas question pour Jacques que sa femme parte dans un établissement spécialisé. Vanina gardait la chambre et une aide à domicile venait de temps en temps s'occuper d'elle, du ménage et de la cuisine. Lorsque je passais rendre visite à Jacques, il insistait pour que Vanina nous rejoigne. Il voulait qu'elle partage avec nous ces petits moments.
Jacques nous parlait avec bonheur et fierté de ses trois enfants et des petits-enfants. C'est lui qui m'a donné un jour ce conseil :"avec nos métiers, nous sommes souvent absents de la maison, loin de nos proches. Lorsque tu as promis de passer les vacances d'été avec tes enfants, il faut s'y tenir. Tu ne dois pas les décevoir, même si on t'appelle pour travailler sur un film."
Le bon vivant.
Marseillais de naissance, Jacques ne reniait pas ses origines. Un jour que nous étions en repérages durant un mois d'été très chaud, il m'avait recommandé (en prenant l’accent méridional) de toujours garer ma voiture de façon qu'elle soit du côté à l'ombre : « c’est comme ça qu’on fait dans le Midi ! ». Je ne l’oublie pas.
Ah ! Marseille... Et sa bouillabaisse ! Jacques parlait avec gourmandise de cette fameuse spécialité de son pays qu'il n'avait plus goûtée sur place depuis longtemps. Il se rappelait avec nostalgie celle du restaurant « chez Camille ». Alors, ces dernières années, avec Olivier, Jean-Jacques et mes parents, nous organisions chez lui, à Meudon, des gueuletons de soupe de poisson et plateau de fruits de mer.
De temps en temps, pour nous amuser, Jacques faisait des imitations. Grands moments de rigolade lorsqu'il prenait la voix des comédiens Michel Galabru ou Yves Montand. Il avait des anecdotes sympas à raconter comme sa virée en train jusqu’à Saint-Paul-de-Vence pour proposer un scenario à Yves Montand et sa rencontre fortuite là-bas avec Simone Signoret.
La lecture.
Jacques a toujours beaucoup lu. Lors du tournage de « L’Argent », insomniaque, il passait ses nuits à lire et relire le roman de Emile Zola dont avait été tiré le scenario. Au matin, arrivé sur le décor avant tout le monde, il nous confiait des feuilles qu'il avait dactylographiées pendant la nuit. C’étaient des recopies du texte d’origine, apportant des précisions sur les personnages, les décors ou les costumes.
A cause de sa surdité grandissante, Jacques n'écoutait pas la radio, ne regardait pas non plus la télévision. Il lisait "Le Monde" ou bien les bouquins qu'Isabelle, une amie qui travaille dans une librairie, nous donnait régulièrement à son intention. Par dizaines et dizaines, ces livres lui arrivaient dans de grands sacs. C'étaient les ouvrages réservés au service de presse ou des épreuves non corrigées que les maisons d'édition envoient aux libraires. Chaque fois, les yeux de Jacques s’écarquillaient. Il était fou de joie, comme un enfant devant ses cadeaux à Noël. Il les consultait tous, repérait les livres qui l’intéressaient. Ceux-là, Jacques pouvait les relire plusieurs fois.
Il avait fait installer des rayonnages pour ses bouquins dans la petite chambre de sa maison de retraite. Ce n’était pas assez. Il a convaincu la direction de lui aménager un coin dans le couloir de passage où il pouvait en ranger d’autres.
Jacques Rouffio, Marc Alfieri, Clémence et Flavien.
The end.
Voilà. Ce sont quelques souvenirs parmi tant d’autres sur cette belle âme. Je me souviens lorsque "Sept Morts sur Ordonnance » est sorti sur les écrans. J’étais au lycée et ce film occupait beaucoup nos discussions. Pendant la récréation, ceux d'entre nous qui voulaient se lancer dans les études de médecine, se sentaient obligés de prendre position par rapport à tout ce que le film dénonçait. Je n’aurais jamais cru, même osé imaginer, qu’un jour, les bons hasards de la vie me permettraient de rencontrer et travailler avec le réalisateur de ce film.
Concluons par une phrase d’un étudiant lors de la Master class que Jean-Jacques Caziot avait donnée. Même si très handicapé pour marcher, Jacques avait tenu à l’accompagner. Le film « Le Trio Infernal » de Francis Girod était projeté en début de séance pour lancer la conférence. Jacques avait écrit le scenario. Jean-Jacques avait été chef-décorateur.
Après la rencontre, dans le hall, les deux amis s’entretenaient avec des responsables de l'école. Quelques étudiants restaient en retrait à les écouter, n'osant pas s'approcher. Nous les avons invités à se joindre à la discussion.
Un peu plus tard, un des étudiants a exprimé que c’était une chance que de telles personnes viennent les rencontrer. Il a ajouté avec nostalgie :"ces gens nous font rêver. Pour notre génération, ils représentent l'âge d'or du cinéma !"
Marc Alfieri