HENRI DECOMPS
- Chef opérateur - Ancien de Vaugirard - Membre de la Cie Sanson Film -
Henri DECOMPS . 30 janvier 1936 / 15 février 2014
C'est sur le tournage de "Rendez-vous en noir", en 1976, que je rencontrais pour la première fois Henri. J'étais stagiaire machiniste, et chose étrange, mais finalement très profitable, avec Mimile (Emile Loubet) comme chef... comme chef-électricien ! Jean-Louis Wajder, électro, était le coéquipier de Mimile. Avec une succession de téléfilms : "D'Artagnan amoureux", "C'est Mozart qu'on assassine", "Double détente", "Le retour de Jean", "Le devoir de Français", "Le vérificateur", "Allegra", "La petite Fadette"... En deux ans, j'allais bien connaître Henri et apprécier cet homme aux qualités précieuses et multiples. Dans le fonctionnement professionnel sur le plateau, Mimile et Henri vivaient une complicité enviable, jamais une anicroche, ni la moindre discution stérile ne faisaient partie de leurs comportements respectifs. Henri, ancien élève de l'école de la rue de Vaugirard (à présent Ecole Louis Lumière), avait une maîtrise sans faille de la lumière. Il savait en quelques minutes bâtir un éclairage adapté à la situation de chaque plan, de chaque atmosphère, de chaque comédien, dans une économie de moyen surprenante ! L'efficacité était le maître mot du Maître de la lumière !
Henri avec Martine (scripte) - Médecins de nuit -
Nous avions à notre disposition, en ces temps reculés : 6 milles fresnel, 6 cinq cents fresnel, 6 pinces-bols, deux Mini-brutes, et une série de Ciné-Kings à survolter. Très respectueux des désirs du réalisateur, et très à l'écoute, Henri savait cependant imposer avec beaucoup de diplomatie sa "vision" des choses. Il anticipait, dès la première mise en place des acteurs, en échangeant avec Mimile quelques regards qui suffisaient à ce qu'ils se comprennent. Pas de fioriture, pas de palabres... Il est bien rare qu'on ait eu à attendre la lumière !
Henri a ses débuts, la cellule en main
Sur le plateau, Henri, occupait le poste le plus important juste après le réalisateur. Et malgré cette haute place dans la hiérarchie de l'équipe, il faisait partie de ces personnes humbles et discrètes qui ne se mettent jamais en avant. Cette discrétion et ce tact permanents, ne voulaient pas dire qu'Henri s'écrasait ! Il s'avait se mettre en colère, de façon contenue mais avec autorité. Son sérieux, son calme et sa droiture morale habituels faisaient de ses rares colères des moments très forts que l'équipe redoutait. Elles étaient toujours justifiées, mais ne se prolongeaient jamais, ni dans la haine, ni dans la rancœur.
Henri le verre de contraste au cou
A l'occasion d'une scène importante, qui avait demandait une longue préparation en lumière, de nombreux photographes de presse s'étaient déplacés. L'un d'eux, apparemment peu familier des plateaux de tournage, utilisa son flash !!! Henri, qui venait de passer toute son énergie à créer avec Mimile l'éclairage magnifique de cette superbe scène, manqua de s'étouffer en voyant l'éclair du flash de cet olibrius !!! Elevant la voix subitement, il demanda à cet ostrogoth de quitter le plateau immédiatement... Un grand silence gagna toute l'équipe, jusqu'aux comédiens qui n'avaient jamais vu Henri réagir de cette façon. L'homme au flash ne comprenait toujours pas ce qui se passait. Mimile, qui allait le lui faire comprendre, le pris par l'épaule avec conviction et le conduisit à l'extérieure, on entendit quelques éclats de voix, puis plus rien, et le visage souriant de Mimile, seul, réapparut à la porte de plateau ; se tournant vers Henri, il lui dit :"Tu peux lui prêter ta cellule ? Le prochain film il te remplace à la lumière !". La colère était passée, toute l'équipe éclata de rire, y compris Henri.
Gina, Dédé, Henri (à la caméra), Bernard
Toutes les astuces, les observations les plus pointues, et les résultats à apporter, Henri les trouvait en quelques secondes d'observation. Un reflet dans une vitre, trois ombres qui se croisaient, une brillance dans une porte, il gérait avec brio toutes ces facettes de la construction d'un éclairage. En vrai chef d'équipe, il supervisait la caméra, la lumière, la machinerie, avait un œil au maquillage et maîtrisait les rendus des décors. Il pouvait se permettre de faire des remarques à chacun des participants, tant ses observations étaient justes et fondées, tant il les faisait avec délicatesse et diplomatie. Rien ne lui échappait. C'était un vrai bonheur de travailler sous ses ordres, une grande chance professionnelle de pouvoir grandir dans le métier avec un tel chef opérateur.
Mimile et Henri
Henri aimait rire, il n'en pouvait plus en écoutant parfois Mimile qui lui chuchottait à l'oreille en pleine prise. Il s'intéressait à tout, mais restait toujours discret et réservé si la situation l'exigeait. Si quelque chose ne passait pas pour lui, dans les paroles ou le comportement de l'un ou l'autre, aussitôt son visage se marquait d'une façon bien particulière. Il était très attaché à la justice, au respect de ses collaborateurs, ne craignant pas de "monter au créneau" pour défendre l'un de nous dans les petits litiges avec la production.
Robert, Patrice, Marc, Henri, Philippe, Christian
A l'heure où j'écris ces lignes, de nombreux témoignages me sont parvenus. Ils attestent de la grande amitié qui a lié Henri à grand nombre de personnes qui ont eu la chance de travailler à ses côtés ; ils sont, réalisateur, cadreur, accessoiriste, photographe, chef décorateur, régisseur, machiniste, assistant opérateur, comédien, ensemblier, directeur de production, assistant réalisateur, scripte, électricien...
Philippe, le 17 février 2014